Il ne savait plus quoi penser, qui croire ni quoi faire. Il gardait sa main dans celle de l’homme en espérant de tout cœur que ce dernier soit sincère et ne tente pas de lui tendre un piège. Mais comme un enfant pouvait-il résister à ce visage d’ange ? Elwin avait beau en avoir vu des vertes et des pas mûres depuis qu’il était ‘orphelin’ et à la rue, il avait beau tirer des leçons de tous ces pièges du même genre qui lui ont été tendus, il s’accrochait toujours à la plus infime lueur d’espoir en espérant recevoir un peu d’attachement, enfin. Si au moins son mentor était là, il pourrait lui dire ‘C’est bon, tu peux lui faire confiance’ ou bien ‘Ne t’approche pas de lui, il te veut du mal.’. Mais comme dans la plupart du temps où l’enfant se mettait dans le pétrin, Alvin n’était pas là. Et même si ce dernier arrivait bien souvent à temps pour le secourir, il n’était pas toujours au courant des aventures de son ‘fils’. D’ailleurs, le petit ne put s’empêcher de ressentir des émotions contradictoires lorsque la jeune femme lui parla du fantôme. Comment pouvait-elle ne connaître ? Il avait du mal à concevoir le fait qu’une femme autre que Violaine puisse fréquenter Alvin. Mais ce qui le frappa le plus, c’est qu’elle affirma l’avoir vu se cacher du croque mitaine et des démons. Il n’y avait que l’enfant qui appelait le croque mitaine ! Alvin les nommait des sortes de messagers mortels qui se chargeaient de faire régner l’ordre et la justice dans le monde magique. Car la présence des esprits était anormale, et leur place se trouvait au ciel ou bien aux enfers. Les paroles de cette femme furent comme un coup de couteau dans l’âme du petit, qui ne pourra jamais croire que son mentor puisse avoir peur de quelque chose. Il était un héros pour lui, celui qui le protégeait de tout et de tout le monde ! Alvin connaissait mieux l’enfant que ce dernier ne se connaissait lui-même. Il savait quelle était la cause de sa mort, de quoi il souffrait mentalement. Et c’est vers lui que se tournait habituellement le petit lorsque quelque chose n’allait pas. Elwin pouvait toujours compter sur ce père, et tout s’arrangeait lorsqu’il était à ses cotés. Du moins, il en avait toujours eu l’impression. L’enfant ne répondit pas. Il sentait que s’il ouvrait la bouche, il risquait de traiter Alys de menteuse alors qu’elle n’avait rien fait pour lui nuire jusqu’à présent. Il avait assez de retenue pour ne pas insulter les gens, sans compter que de son vivant il recevait une éducation française plutôt stricte.

« Y’a que moi qui l’appelle Al’. » marmonna le petit, en se sentant frustré. Il finit par lever les yeux vers elle et écouta toute la suite des paroles qui expliquaient les actions d’Owen. Il ne remarqua même pas la présence d’un autre type qu’il connaissait bien, hélas. S’il l’avait vu plus tôt, peut-être aurait-il eu le temps d’aller se cacher pour que Jared ne le voie pas. Alys disait que l’aveugle avait commis énormément de meurtres. Comment pouvait-on tuer quand on ne voyait pas ? Le petit ne se rendait pas vraiment compte de la gravité de la situation, et il préférait garder le silence. Il leva timidement la tête vers Owen, mais un simple regard lui redonna confiance en lui. Owen n’avait pas la tête d’un tueur, donc elle mentait ! Est-ce qu’elle était une sorcière qui voulait tendre un piège à l’enfant ? Non, Elwin secoua légèrement sa tête, il n’était pas le centre du monde ! Apparemment, elle était très concentrée sur celui à qui il serrait la main. Il ressentait l’envie de lui faire comprendre qu’il s’en fichait, qu’il n’allait pas se séparer. Il lui serra même la main comme pour dire avec tout l’affection du monde ‘Ne t’inquiète pas, je ne la crois pas.’ Mais il sentit Owen le lâcher, et c’est là qu’il aperçut l’autre sorcier qui venait de débarquer d’on ne sait où. Elwin fit aussitôt un pas sur le coté pour tenter de se cacher derrière l’aveugle mais c’était trop tard.

« Si tu bouffes immédiatement ton T-Shirt, je te laisse dix secondes pour décamper. »

L’enfant avait l’habitude que ce type lui tende des défis impossible à réaliser, tout ça pour trouver une excuse pour le tabasser ! Mais le gamin n’était pas seul, et comme toujours il se débattait comme une teigne. Qui sait, un jour il pourra peut-être avoir le dessus sur ce monstre !

« Si tu m’approches, il va te défoncer ! » affirma l’enfant, les dents serrées, en montrant Owen du doigt. Il était d’autant plus rassuré que ce dernier l’avait qualifié d’ami, et avait pris sa défense auprès de Jared ! Il ressentait l’immense espoir que cette fois, c’est lui qui gagnerait face à ce sale type ! Leur attention se désintéressa de l’enfant pour se concentrer sur cette fille en face. Ils s’amusaient à la décrire physiquement et comment Owen pouvait-il faire pour donner son avis là-dessus ? Elwin n’y comprenait absolument rien, et cette situation lui faisait affreusement penser au collège où une bande de potes se moquaient d’un exclu. Il voulait prendre la défense de cette fille finalement, et son coté chevaleresque le poussa à agir. Il avait beaucoup de mal à comprendre où les deux hommes voulaient en venir, mais s’il voulait devenir un fervent défenseur du bien plus tard, il devait toujours prendre la défense de ce qui lui semblait juste ! Il avait appris ça dans un marvel. Dans Superman plus précisément.

« C’est pas vrai, elle est très jolie la madame ! » s’écria le petit.

Bon il n’avait pas fait grand-chose mais il avait peur que s’il partait du coté d’Alys, Jared l’attrape. Il restait presque collé à Owen, comme un enfant qui se cachait derrière son grand frère, et jetait de fréquents regards soupçonneux à Jared.

« T’as rien à faire là, et j’ai rien fait cette fois. » finit-il par trouver le courage de dire au ‘grand manitou’ qu’il détestait par-dessus tout. Il en avait vécu des situations douloureuses avec cet homme sans pitié, et les nuits d’horreur qu’il avait passé le traumatisaient à vie. Et Jared savait pertinemment qu’il était plus efficace de lui faire peur que de lui faire mal…

Faire les présentations, Elwin mourrait d’envie de tout dévoiler. Comme Alys lui avait avoué les atrocités d’Owen, il voulait la prévenir, et lui dire à quel point Jared était un type méchant. Qu’il n’avait pas de cœur, pas de pitié et beaucoup d’autres adjectifs insultants qui passaient dans la tête du garçon mais dont il n’en connaissait pas le sens. Ou inversement, des adjectifs qui passaient subjectivement mais sur lesquels il ne pouvait pas mettre de nom là-dessus. Mais la jeune femme semblait beaucoup plus apte à se défendre, du moins c’est l’impression qu’elle donnait. Alors peut-être n’avait-elle pas besoin de conseils, elle se rendra vite compte que cet homme était un… un dragueur ? Elwin découvrait une nouvelle facette d’un des hommes qu’il détestait le plus. Il ignorait qu’il pouvait se comporter autrement avec les gens. Il ignorait même qu’il pouvait y avoir des semblants de sympathie dans son allure. Et même si la plupart des plaisanteries furent prises au sérieux par l’enfant, même si beaucoup d’allusions basées sur le sexe ne furent pas comprises par lui, il se questionnait durement sur l’art et la manière de Jared envers les gens. Si Elwin avait été une fille, il aurait eu droit à de gentilles paroles ? Plutôt qu’à des nuits de frayeur passées dans des bennes à ordures ou à courir comme un dingue dans les rues pour échapper au sorcier. En vain, il le rattrapait toujours avec ses grandes jambes ! Pourtant, il y avait deux fois où il avait réussi à lui échapper. Ces deux fois, Jared avait voulu se débarrasser de lui définitivement et puis… pouf. Elwin se retrouvait chez Violaine quelques secondes plus tard. Haaa le miracle enfantin alors ! Lui qui n’avait jamais pu réaliser ce qu’il était ni ce qui lui arrivait, il s’embrouillait encore plus lorsque son état naturel venait le tirer des mauvais pas. Quelle poisse !

Elwin tournait autour d’Owen. Son regard passait de la belle dame – il espérait que cette dernière ne se fasse pas agresser – au loup qui s’amusait à lui faire peur de temps à autre. Ca n’avait rien de drôle en plus. À chaque fois que Jared bougeait vers lui, l’enfant faisait automatiquement les mêmes mouvements afin de garder l’aveugle entre deux. Cette fois, sa confiance en Owen était presque au maximum. De toute manière il avait jeté tout son espoir sur lui, et il espérait sincèrement qu’il le protège contre le mauvais homme. Le sale type qu’il était et qui voulait le tabasser était soudainement devenu une sorte de sombre héros bien meilleur qu’il n’y paraisse. Et le surnom que lui donna Jared colla parfaitement au personnage : Dardevil. Sauf que comme le mauvais sorcier l’avait dit, Elwin allait trouver une autre référence. Quel idiot ce Jared ! Le môme restait silencieux, préférant ne pas attirer l’attention sur lui. Au bout d’un moment, il sentit Owen lui prendre la main et le forcer à arrêter de bouger. Geste qui rassura le petit puisqu’il pensa alors que l’autre n’oserait plus faire un pas vers lui.

« Je n’en veux pas, de ta maison. » murmura simplement l’enfant en fixant Jared.

Non seulement il n’était pas stupide, mais en plus, même si l’anglais n’était pas sa langue natale il avait déjà vu le mot RIP dans le jeu Crash Bandicoot, quand ce dernier se fait toucher par un serpent dans la jungle ! Il n’allait pas se faire avoir aussi facilement que les heures de jeu et de colère qu’il passa sur Crash quand il était plus petit. Alors que les trois adultes parlaient de choses qui n’intéressaient pas vraiment le fantôme, ce dernier réfléchissait silencieusement. Toutes ces heures de vagabondages et d’errances lui avaient appris, en plus de savoir être courageux, à réfléchir calmement lorsqu’il en avait l’occasion sur la manière de se sortir de situations périlleuses ou tout simplement de ce qu’il pouvait faire plus tard. C’était Alvin qui lui avait dit qu’en tant qu’esprit, il devait toujours avoir quelque chose à faire dans sa tête. Car s’il venait à ne rien faire, si même ses pensées se mettaient à errer, alors son état de fantôme le prenait totalement et il commençait à hanter sans le vouloir le lieu où il était. Jusqu’à ce que quelque chose, un accident, quelqu’un qui le voit, un bruit sourd ou quelque chose de choquant le ramène à la réalité. C’était la malédiction d’un fantôme comme lui qui luttait comme son mentor pour rester le plus humain possible. Tout, mais ne jamais se laisser aller. Réalisant qu’il s’absentait moralement de la terre ferme, il secoua la tête et se reconcentra sur la conversation. Les paroles d’Owen glaçaient l’enfant, mais plutôt de le lâcher, il serra sa prise. Ces deux hommes menaçaient la jolie dame qui avait pris sa défense, c’était si lâche et injuste ! Il ignorait s’il serrait la main de son nouveau protecteur pour amadouer ce dernier, le calmer ou simplement pour l’empêcher d’aller vers cette fille. Toutes ces paroles semblaient prêtre à se réaliser. Elwin en était sûr pour l’un des deux hommes, puisqu’il le connaissait et l’avait déjà vu à l’œuvre, mais il se doutait bien qu’Owen n’était pas un tendre. L’enfant observa Alys. Si ça se trouve, elle avait beaucoup de ressource et allait épater les deux individus ! Si ça se trouve, elle ne faisait que parler parce qu’elle essayait de se tirer de ce mauvais pas par le langage… Peut-être qu’elle ne pouvait pas se défendre. Dans tous les cas, Elwin s’en voudrait s’il regardait Jared et Owen faire du mal à la jolie princesse. Et que diraient ceux qui le connaissent ? Que diraient les héros des marvels ou des disneys s’il ne réagissait pas ? Il ne voulait pas être un lâche, mais il ne voulait pas qu’on le frappe.

« S’il te plaît, les laisse pas faire… Les laisse pas te faire du mal, fuis s’il te plaît ! » supplia le gosse.

Le fait d’avoir lâché de nouvelles paroles fit monter en lui un flot d’adrénaline qui lui coupa le souffle. S’il voulait être un chevalier, plus tard, il devait faire sa première bonne action ! Et alors, pris d‘un élan de courage, il garda la main d’Owen dans la sienne, ou plutôt l’inverse, puis il fit un pas vers Jared. Son autre main agrippa également l’habit de ce dernier puis il le fixa d’un air à la fois déterminé et effraya. En fait, il voulait le retenir lui aussi pour qu’Alys puisse s’en aller. Bon, toute personne réaliste saurait que ce n’était certainement pas une petite réaction comme cela qui allait retenir Owen et Jared. Mais l’enfant préférait tout tenter que de ne rien faire du tout et puis, pour lui, c’était aussi fou que… fou. Non en fait c’était énorme ce qu’il venait de faire. Il s’en rendait compte mais était trop fier pour lâcher prise. Haaaa c’est la brebis qui avait attrapé le grand loup !