Skylar & Coleen

« Des jumeaux vrais ne sont qu'un seul être
dont la monstruosité est d'occuper deux places différentes dans l'espace. »
[Michel Tournier]

Comment être soi-même quand depuis toujours vous évoluez et grandissez avec quelqu’un en tout point identique à vous ? C’est la question que se posait miss Halliwell depuis pas mal d’années maintenant. Si pour beaucoup la gémellité est une bénédiction, pour Coleen cela s’apparenterait bien plus à un fléau. Il est vrai que si physiquement, il est quasiment impossible de les différencier, d’un point de vue caractère, elles sont différentes, mais sa jumelle étant la parfaite petite fille, les gens en attendait pas moins de Coleen qu’elle soit identique à Skylar sur ça aussi, et c’est ce qu’elle fit par dépit, seize années durant : être l’ombre de sa sœur jumelle.

Le problème à jouer aussi longtemps ce qu’on est pas, c’est que lorsque vient le jour où l’on décide de reprendre les rennes de sa vie en main, on peut très vite partir dans l’extrême inverse et se diriger tout droit sur une pente dangereuse que l’on aurait probablement jamais emprunté autrement. A trop vouloir se différencier de sa jumelle, à trop vouloir être elle-même, à trop vouloir une place bien définie au milieu de cette grande famille que sont les Halliwell, Coleen s’est perdue en route et à dériver sur la voie du mal. Il en fallait très peu pour que cela se produise, et cela est arrivé peu après le tournant, la révélation du monde occulte aux humains. La jeune sorcière vit là l’occasion de ne plus se cacher derrière Skylar, d’être enfin elle-même. Et la rencontre avec celui qui est depuis devenu son fiancé, n’a fait que la précipiter dans cette direction qu’elle a prit aujourd’hui.

De discrète et réservée, voir effacée, Coleen est devenue une jeune femme sûre d’elle, m’as-tu vu et arrogante. Maintenant, c’est certain, elle ne passe plus inaperçue parmi les siens. Est-ce mieux ou pire ? Maintenant elle les a sur le dos, surtout avec ce fiancé plus âgé qu’elle, qu’elle ne connait que depuis un an et qu’elle n’a elle-même que dix-huit ans. Enfin pour l’heure, la demoiselle s’en fiche pas mal, elle se sent libre, elle se sent vivre, et c’est tout ce qui lui importe et elle n’a aucun scrupule de faire vivre un enfer à sa sœur chérie. Chérie oui, car autant elle aime à clamer haut et fort à qui veut –ou pas- l’entendre qu’elle hait sa jumelle, qu’elle aurait préféré ne pas en avoir, autant la réalité est tout autre. Au fond d’elle, Coleen aime profondément Skylar et elle ne voudrait d’autre sœur qu’elle pour rien au monde.

En attendant, même si au fond d’elle Coleen aime sincèrement sa sœur, elle prenait un malin plaisir à la chercher constamment. L’ambiance général au manoir était plus que tendu, notamment avec l’arrivée impromptue de Piper, Phoebe et Prue, celles du passé qui n’étaient même pas encore leurs mères, leurs tantes… Et l’atmosphère entre les jumelles en était quant à elle, carrément électrique. A vrai dire, elles ne pouvaient rester plus de trente secondes dans une même pièce sans que cela ne vire à la dispute, tant et si bien que lorsque l’une entrait, a seconde quittait quasi automatiquement le lieu. En réalité, c’était bien plus souvent Skylar qui jouait à ça, tentant d’esquiver les conflits engendrés par sa jumelle, alors que Coleen préférait largement s’amuser à piquer sa sœur avec des remarques peu plaisantes. Et aujourd’hui elle était d’humeur particulièrement joueuse, que lorsque la première occasion se présenta, elle ne put résister à la tentation.

- Bah alors Sky, on a perdu de son caractère ? … Depuis quand tu fuis devant l’ennemi ? Tu me déçois là !

De bon matin, bien réveillée, Coleen était en pleine forme pour ce genre de petite joute verbale. Alors quand miss Halliwell-Mitchell numéro deux sortit de la cuisine où Coleen venait d’entrer pour prendre le petit déjeuner, elle se sentit presque obligée de lui faire une petite remarque, le tout accompagné d’un air mesquin dans le regard et d’un léger sourire narquois. Une main posée fièrement sur la hanche, Coleen se plaisait à dominer ainsi sa jumelle.