L'aéroport. Un lieu sans cesse actif, des personnes ici pour des tas de raisons différentes, de nationalité différentes, allant dans des directions toutes aussi différentes les unes que des autres. Un lieu de départ, un lieu d'arrivé. Toute sorte d'émotions étaient respirables en cet endroit. Des émotions typiquement humaines, typiquement détestables. C'est en éprouvant certaines choses à l'égard de quelqu'un qu'on se trouve de nouveaux points faibles, de nouvelles failles, de nouvelles pensées qui vous perturbent en vous clamant haut et fort que vous êtes vulnérables. Pour un sorcier maléfique, c'est beaucoup plus dur à supporter, toute cette pression que l'on met sur vous depuis si longtemps, que cela soit par les parents, que cela soit par ceux qui vous ont endoctrinés au mal, ou que cela soit par d'autres démons – si ce n'est des proches. Les sentiments humains sont vraiment à chier, voilà le fond de la pensée du Calahan en cet instant.

Valise en main, un pas décidé, et le voilà qu'il avait quitté Jared, sans aucune pitié, sans avoir flanché une seule fois, sans s'être retourné une dernière fois pour le regarder, sans l'avoir serré dans ses bras avant de le quitter, rien. Mais le Mike dans l'avion était bien différent, à part cogiter, assis tranquillement à sa place il ne faisait rien d'autre, immobile à regarder à travers la fenêtre. Regarder le monde qu'il survolait durant son trajet le plongeait dans ses pensées immorales, inconscientes, qui ne tournaient sans cesse autour de sa personne, des choix qu'il avait pu faire tout au long de sa vie. A se demander s'il avait opté pour ce qu'il fallait de meilleur pour lui. Tout le monde y passait, son père, ses sœurs, sa mère, sa belle-mère, mais à vrai dire, surtout Jared. En fait, il ne savait vraiment pas quoi penser de lui. Pas seulement après sa réaction qu'il jugeait impardonnable, mais en général plutôt. Il n'avait jamais envisagé un tel tournant dans leur relation, et il ne savait même pas à quoi s'attendre. Bien sûr qu'il ne voulait pas l'oublier, ni le lâcher de sitôt (car il est toujours persuadé que c'est lui qui lui en fera le plus baver et que peut-être il le laissera tomber). Mais donner une suite à ce qu'il venait d'arriver, c'était plutôt impossible, et frustrant pour ainsi dire pour Mike qui avait toujours tout contrôlé jusque là, désormais il se trouvait comme Jared, dépassé par les évènements. Ce qui était sur, c'est que pour rien au monde il ne le perdrait.

Le trajet, et les premiers jours furent en quelque sorte très pénible sans vous mentir. S'adapter à un nouveau milieu, en temps normal, n'avait rien de compliqué pour Mike prêt à accepter toute situation et s'y accommoder. Mais seul le prénom de Jared lui trottait en tête. Très vite, il réussit à se reprendre, de toute manière il n'avait pas vraiment le choix avec son patron sur son dos et ses collègues et peu fatigués de parler à un mur. Son travail, qu'il aimait vraiment, allait lui servir d'attache pour changer un peu d'air, se changer les idées... et ce avec succès. Les contrats signés se déroulaient comme prévus, plus tôt que prévus à vrai dire, dans des situations particulièrement arrangeants pour tous. C'était à se demander si Mike ne devrait pas plutôt opter pour un job mettant plus en valeur cet homme d'affaire qui sommeillait en lui (ou plutôt son pouvoir de manipulation qui n'attendait qu'une seule chose; pouvoir se manifester en toute liberté). Il y songeait..mais bon il n'en savait rien. Mike ne sait jamais rien de sa vie, si ce n'est qu'il s'en sortait toujours, très bien sans magie, mais ne refusait pas un petit coup de pouce de temps en temps. Son travail c'était un peu tout ce qui lui restait pour penser à autre chose, de là où il était surtout. N'ayant particulièrement pas envie de perdre son temps et profiter un peu de la deuxième semaine à vraiment se changer les idées, comme il se doit, Mike accéléra le processus, les contrats, les signés de presse, avec un peu de persuasion...à la Mike assurément.

Profiter comme il se doit. On parle bien de Mike Calahan, en ville, le soir, seul déjà bien éméché dans un bar à commander plusieurs Baileys d'affilé. Hochant sa tête de gauche à droite en suivant le rythme de la musique qu'offrait ce pub, Mike tourna ensuite sa tête vers une femme qui venait de s'installer à côté de lui et lui adresser la parole. Charmante, séduisante et agréable. Quelques petits sourires en coins, des jeux regards, des verres payés, et les voilà qui se rapprochaient de plus en plus. A vrai dire, là il ne pensait plus à rien, il ne pensait qu'à sa petite personne à combler et à lui montrer d'autres horizons et de nouvelles vues. Quelques baisers plus tard, et les voilà dans les toilettes de ce même pub. Néanmoins, à peine eut-il enlevé une bretelle de la robe de la nouvelle demoiselle, qu'il se stoppa net. D'une seconde à l'autre, sa lucidité avait semblé avoir refait surface en un déclic. Un déclic assez étrange. Il se souvient avoir froncé les sourcils et avoir reculé de quelques pas alors que la fille se posait des questions et semblait perplexe. Pour une fois dans sa vie, à cet instant précis, il savait enfin de ce qu'il voulait. (et surtout ne voulait pas).

Le revoilà, quelques jours plus tard dans l'avion pour retourner à San Francisco. L'état dans lequel il avait été pour partir de SF, et pour y retourner était totalement différent. Il y retournait après un travail fructueux et profiteur et surtout après avoir enfin pu s'éclaircir les idées et comprendre un mieux comment il fonctionnait, et ce qu'il désirait désormais. Il avait passé le retour, toujours à regarder à la fenêtre, le monde qu'il survolait (ou plutôt les USA), avec un sourire en coin, rêveur, et plutôt satisfait. A peine arrivé, il avait appelé un taxi et s'était débrouillé pour qu'on lui apporte ses bagages à sa chambre d'hôtel en prenant soin qu'on les lui dépose dans le Hall et pas dans sa chambre. (toujours dans un piteux état aux dernières nouvelles). Se faire virer de sa chambre d'hôtel aussi bêtement...non merci. Encore une preuve que Mike pensait à tout (ou du moins aimer penser cela).

Le Pink Paradiz, voilà devant quoi il venait de se confronter. Il était devant, raide, depuis quelques secondes déjà à contempler l'enseigne, qui malgré tout le répugnait. (saisissez le paradoxe). Le fameux lieu de travail de Jared, il n'était jamais beaucoup venu auparavant, si ce n'est pour aller chercher Jared, ou pour aller piquer de la boisson alcoolisée dans les stocks avec Jared encore, ou pour graisser un peu plus les barres sur lesquelles les danseuses se trémoussaient, ou encore pour réduire d'une taille leur vêtement, ou...bon d'accord bref. Toutes les conneries qu'ils avaient pu faire, c'était impressionnant, et seulement ça pour un lieu, ils avaient fait tellement pire. Voilà déjà pourquoi le rayer de sa vie était chose impossible. Du moins c'était une des raisons valables. Mike poussa alors la porte et fronça les sourcils, un peu sceptique de retrouver Jared si spontanément. A peine rentré à SF, le voilà qui se dirigeait dans l'antre de Jared..qui était au bar à cette heure. Mike s'avança vers lui, ne préférant pas se poser de questions inutiles qui n'auraient cessé de lui faire changer d'avis.

« hé on s'rapelle de moi? » lança t-il à Jared qui était de dos. A peine retourné que Mike l'enlaça spontanément et renifla bruyamment, tout de même content de le retrouver enfin.

Il s’agissait de retrouvailles auxquelles il ne s’attendait pas, mais qui lui faisait chaud au cœur. Toute sa mauvaise humeur, toutes les mauvaises nouvelles qu’il avait encaissées s’était évaporés. Et pourquoi ? Parce qu’IL était revenu vers lui ! Parce que c’était Mike qui avait fait le premier pas, et que Jared n’aurait pas eu à patienter davantage pour être sûr de le voir revenir et d’attendre encore le temps qu’il trouve le courage d’y aller. Parce que l’homme aurait très certainement craqué, mais pas tout de suite, pas après la manière dont son ami l’avait envoyé bouler à l’aéroport. En fait, il s’en fichait pas mal de l’humiliation qu’il avait subie ce jour là. Les gens autour, il en avait retrouvé la moitié et les avait tués dans la même semaine pour se défouler sur son malheur. Il avait été bien violent ces derniers jours, et avait également commis des crimes dont un autre ne serait vraiment pas fier à sa place. Il avait eu grand besoin de se déchaîner et pourtant, ça ne lui avait pratiquement rien fait. Alors que là, pouf, il avait suffit qu’il entende sa voix pour que tout son état d’esprit change. Jared lui adressa un petit sourire devant sa réponse. Ils se dirigeaient tous deux vers une table près de la fenêtre et assez isolée. S’il y avait eu du monde à cette table, l’homme les aurait virés sans aucun scrupule. Lorsqu’ils s’y installèrent, le serveur leur apporta les boissons puis repartit sans un mot. Mike était là, juste en face. C’était comme s’il s’était absenté des mois et des mois sans donner de nouvelle. Jared ne s’était pas grandement inquiété, sachant que ce n’était qu’un voyage d’affaire, mais il n’avait cessé d’être nerveux à l’idée de ne pas avoir ne serait-ce que la moindre nouvelle. C’était comme s’il s’était senti abandonné. Il avait continué son travail, ses fréquentations, mais le cœur n’y était plus vraiment. Il n’avait pas cessé de repenser à cette soirée alors qu’il souhaitait plus que tout l’oublier, puis à cette visite à l’aéroport qu’il avait peut-être assez mal gérée. Est-ce qu’il aurait du demander à Mike de ne pas monter dans cet avion ? Est-ce que dans ce cas, le Calahan serait resté ? Plus les jours passaient, plus il désespérait. Mais il ne risquait pas d’en parler à qui que ce soit, et encore moins d’essayer de contacter son ami. Peut-être que s’il avait fait ça, Mike ne le lui aurait pas pardonné. Face à face, ils eurent un petit moment de gêne, une sorte de minute de silence qui les laissait tous deux réfléchir. Devaient-ils mettre le sujet sur le tapis ? Ou bien continuer de se poser des questions inutiles et inintéressantes pour faire semblant d’avoir une conversation. Jared préférait quand même parler d’autres choses, mais il avait encore trop de mauvais souvenirs pour remettre la soirée en jeu. Lorsque la bouche de son ami sortit, ce furent des excuses qui en sortirent. Le strip teaseur enleva son béret pour de bon et fronça les sourcils. Mike paraissait réellement embarrassé, il était sincère c’était certain. Désolé de quoi, pour l’aéroport ? Jared ne savait pas quoi répondre, alors il se contenta de hausser légèrement les épaules pour lui faire comprendre que ça n’avait rien de grave à ses yeux. Avec tout ce qu’ils avaient traversé tous les deux, ce n’était pas une mauvaise dispute dans un lieu publique qui allait lui rester.

« J’pensais pas que je viendrais non plus. Mais je m'en serais voulu de pas le faire. » confia Jared sur le même ton, avant de prendre sa première gorgée de martini. Dire que là, il n’avait pas tellement soif. Cependant il continua de fixer son ami. Il s’attendait à ce que ce dernier continue, il allait forcément continuer. Tout n’était pas beau et rose avec Mike, et ça, Jared l’avait appris à ses dépends. Cela dit, ce dernier avait un peu honte de s’avouer que c’était ce qu’il admirait le plus chez son partenaire. Le ‘mais’ arriva, ce qui rassura presque le maléfique. Ouf, Mike n’avait pas changé. Ouf, il avait quelque chose à redire. Jared, par ses propres pensées, faillit décrocher un sourire devant son ionisme mais la suite des paroles de son ami le lui empêcha. Il venait de perdre son envie de rire, tout d’un coup, comme si c’était tombé dans un fossé, accroché à une enclume. Il parlait de cette soirée… cette fameuse soirée que Jared aurait vraiment aimée oublié. L’homme l’écouta, puis baissa les yeux sur son verre. Il prit une nouvelle gorgée, détourna le regard dehors, leva ensuite les pupilles vers le plafond puis les reposa sur son ami, d’une manière hésitante. Il prit une gorgée bien plus grosse que les autres de sa boisson, la vidant presque, et garda le liquide en bouche quelques secondes avant de tout avaler et de sentir la brûlure traverser son gosier. C’était son tour de répondre, là. Il se frotta le menton avec la main, puis se massa le cou… Les paroles de son ami lui faisaient mal. Enfin c’était la dernière phrase. Ne plus jamais le revoir ? Jared ne pourrait jamais…

« J’aurais pas du, je sais… » murmura-t-il comme un enfant honteux et réellement conscient de son erreur, « Mais j’ai… euh… »

Il avait énormément de mal à s’exprimer, tout comme il avait du mal à avouer certains défauts à son ami. Il savait qu’il était un modèle, et il voulait se comporter comme tel. Alors lui dire des faiblesses c’était… difficile. Jared voulait toujours se comporter comme quelqu’un de protecteur, de très confiant. Un homme qui n’avait que des forces, aucun point faible. Un homme capable de défendre Mike contre tout et n’importe quoi, et capable de tout. Qui savait rire, s’amuser, et qui s’avait s’occuper de son ami. Cependant Jared s’obligeait à lâcher ces paroles, même si elles étaient du poison pour lui-même. Parce qu’il voulait que tout s’arrange entre Mike et lui, et il se disait que si c’était le cas, ils allaient enfin pouvoir tirer un trait sur cette soirée.

« J’ai flippé, Mike. T’étais à poil, j’étais à poil, j’ai aucun souvenir et on a surement couché ensemble. Alors j’ai paniqué. Je sais pas ce qui m’a prit, je sais que c’était idiot de ma part. » avoua l’homme en fixant son ami. Il ne savait pas vraiment comment s’y prendre, c’est qu’il n’était pas tellement diplomate. Tout ce qu’il voulait, là, c’était obtenir le pardon de son ami et oublier tout ça. D’autant plus qu’une nouvelle importante trottait dans l’esprit du strip teaseur. Quelque chose qu’il devait absolument dire à Mike, avant que ce dernier ne l’apprenne en rentrant chez lui, par l’une de ses sœurs, sa mère ou son père. Zach devait déjà être au courant, car Marion ne lui cachait rien. Le maléfique regarda son partenaire avec un air réfléchi.

« Il faut que je te parle d’un truc Mike, ça ne va pas vraiment te plaire. » commença-t-il sur un ton grave en se poussant intérieurement pour avoir le courage de se lancer. Il Fit tourner la base de son verre devant lui, fixant le reste du liquide qu’il y avait à l’intérieur d’un air soucieux, avant de lever les yeux vers son ami. Il avait terriblement peur, car il était certain que Mike lui en voudrait terriblement… Mais il lui en voudrait encore plus si ce n’était pas lui qui le lui annonçait. Jared avait aussi un pincement au cœur, parce qu’il venait de le retrouver et qu’il lui lâchait cette nouvelle comme un cheveu dans la soupe. Cependant, c’était maintenant ou jamais, car il sentait qu’il n’en aurait plus le courage sinon. « J’ai revu Marion pendant ton absence. Rassure-toi, je ne lui ai rien fait. » entama l’homme en cherchant minutieusement ses mots. Diplomatie ! Courage ! Diplomatie ! Il ne devait pas être trop brutal, il devait l’annoncer… de manière à ce que son ami ne réagisse pas trop mal. S’il se prenait le verre de Mike sur la tête, enfin son contenu, il le comprendrait même. Cependant il ne devait pas tourner autour du pot, car son partenaire avait horreur de ça, et il le savait.
« Elle… je suis désolé… mais elle est enceinte. Je suis le père, Mike… je suis désolé. »
Il pencha le visage vers la table mais ne baissa pas le regard. Sans le vouloir, il montrait bien dans ses yeux qu’il craignait terriblement la réaction de son ami. Car Jared avait besoin de lui. Pour encaisser lui-même la nouvelle, et pour prendre une décision sur la suite. Si Mike le rejetait… Jared ne saurait pas quoi faire. Il sera totalement perdu, livré à lui-même et ne verrait pas d’autres choix que de prendre la fuite, que de partir de San Francisco, de tout abandonner parce qu’ici, tout lui rappellerait Mike et son abandon…

C'est en s'éloignant un peu trop de certaines personnes qu'on peut alors tout oublier. Oublier certains moments qu'on aurait préféré ne jamais connaître, ne jamais vivre, oublier certaines histoires typiquement puériles et inutiles, oublier certaines paroles blessantes..mais on peut facilement oublier certains comportements, certaines attitudes qui vous irritent de jour en jour, qui vous bouffent, qui vous tuent tout simplement à petit feu. Se détacher de Jared lui avait permis, loin de San Francisco, de tout magnifier chez lui, son physique incontestablement irrésistible, son regard charmeur, son sourire à vous mettre mal à l'aise, mais aussi son comportement que Mike jugeait beaucoup trop de fois à son goût comme excusable. Passable. A ne pas relever. Mais chez le Calahan, il y avait des limites à ne pas franchir, et même si pour Jared ses limites ne semblaient pas exister, il va de soit qu'il y a quand même. Et pousser à bout Mike, premièrement il fallait le faire, car Mike n'est absolument pas réputé pour s'énerver à tout bout de champs, bien au contraire, il préfère sans nul doute rester de marbre dans n'importe quelle situation, et ignorer tout ce qui pouvait l'entourer. Et puis deuxièmement, le pousser à bout, c'était particulièrement très mauvais. A défaut d'être plus difficilement à bout avec Jared, ce qui est sans contexte un avantage pour lui, quand ce dernier parvient à le mettre vraiment à bout de nerfs, il avait plutôt intérêt à tout faire pour ne pas qu'il se fasse tuer immédiatement par le Calahan. S'énerver sur Jared est un tout autre passe temps que de s'énerver sur une quelconque autre personne. La tolérance avec Jared il connait. Jared qui abuse de sa tolérance, il subit ça perpétuellement. La situation allait se dégrader encore une fois, il n'y avait pas de peut-être, c'était sur.

Pourtant, ce qui est incroyable, c'est que la discussion partait sur de bonnes bases. Il n'avait rien à redire. Ils allaient évoquer le fameux sujet, ce dont ils avaient le plus besoin afin que leur relation revienne à la normale. Encore faut-il que Jared veuille que leur relation se rétablisse? Mike avait de gros doutes sur cette question désormais. Comment aimer une personne à tel point de vouloir la faire souffrir de la sorte? Ce n'est absolument pas concevable. Qu'est-ce que Mike pouvait-il bien trouver à Jared? La situation, sous un autre angle (surtout extérieur), prendrait Mike pour un gros naïf de première, pour un mec qui ne comprend rien à la vie, pour un sorcier soit disant maléfique tout bonnement pitoyable qui n'a rien de mieux à faire que de retourner à son tricot. A défaut de se poser un nombre incalculable de questions, Mike ne se posait jamais les plus pertinentes. Bien sûr que non, autant choisir la facilité, autant choisir les questions auxquelles on connait déjà la réponse, et surtout pas s'interroger sur le pourquoi de leur relation? La dernière soirée avait effrité leur relation comme jamais. Mais Mike aurait aimé pensé qu'ils auraient pu faire une trêve de mauvais souvenirs, une petite pause parmi tous ces dérapages. Mais évidemment que non, c'est Jared qui tire les rennes de leur relation, c'est lui qui décide, comme toujours. C'est beau d'avoir à prendre de telles décisions.

Tentons de rester calme, même si Mike bouillonnait intérieurement et ne cessait de s'emmêler les esprits avec des monologues affriolants, des questions par centaines en suspend.

Mais pourquoi tant de tension? Mike aurait dû le prévoir, Jared avait commencé à bégayer. C'était très mauvais signe. Un Jared qui n'aurait rien eu à se reprocher aurait parlé d'un ton monocorde, voire même avec beaucoup de fierté en arrière-plan. A ce moment là, on pourrait dire que Mike avait ressenti beaucoup d'appréhension, être perplexe, une de ses nouvelles spécialités décuplée avec l'aide de son compatriote préféré Jones. Oui Jones, et pas Jared. Plus de Jared pour le moment. Et on connait tous la différence quand Mike pense (ou même parle) à Jones et quand il pense à Jared. Deux noms propres différents, une grande nuance à distinguer.

« donc t'es parti? T'aurais pu m'envoyer un clone par pitié non? »

C'est limite en lui coupant la parole qu'il venait de lui balancer ça. Pour une fois, il avait parlé avant de réfléchir, c'était bien dommage. Voilà pourquoi il détestait tant être avec Jared. Ce dernier lui faisait perdre tous ses concepts, tous ses principes, ses acquis de base, il le rendait jour après jour quelqu'un d'autre. Cependant, sur le coup, c'était assez déplacé. Mike ne se sentait pas idiot, ni mal à l'aise, mais un peu incompréhensif. Jared traitait du fameux sujet, et Mike le remballait de la sorte. Comment pouvait-il faire des efforts par la suite? Bon certes, c'est très tiré par les cheveux, mais assurément, il faudra toujours que Mike se fasse du soucis (inconsciemment ou pas) pour Jared, et qu'il se fasse toujours culpabiliser de quoique ce soit pour lui.

Entrouvrant la bouche pour s'excuser, Mike la referma aussitôt pour l'écouter poursuivre.

« Il faut que je te parle d’un truc Mike, ça ne va pas vraiment te plaire. »

C'est souvent après ce genre de phrases que vous pouvez paniquer. Même avec l'habitude, Mike se montrait inquiet, peut-être plus perplexe à vrai dire. Il ne s'attendait pas au pire, enfin pas à ce qui allait suivre, loin de là. Il pensait avoir eu sa petite dose annuelle (bon d'accord, avec Jared, disons mensuelle) de péripéties et qu'ils allaient enfin pouvoir s'amuser comme au bon vieux temps. Ou du moins avant tout poursuivre sur le sujet précédent. Car mine de rien, il avait complètement réussi à dévier ce dernier sujet et à glisser une phrase fatale entre deux. Rien que pour ça, Mike commençait déjà à s'énerver. Preuve irréfutable que Jared estimait bien cette soirée comme une erreur...mais pour Mike, cela n'avait rien à voir avec une erreur, au contraire, si on pouvait qualifier ça de bonne surprise, cela serait parfait.

« J’ai revu Marion pendant ton absence. Rassure-toi, je ne lui ai rien fait. »

Voilà de quoi ça allait parler. Pendant que certains réfléchissent à propos de leur vie, à propos de leur entourage, voire même pendant que certains se remettent en question, d'autres en profitent pour aller voir votre sœur. Surement pas pour l'aider à cuisiner qui plus est. Les surprises comme ça, il adorait, vraiment.

« Elle… je suis désolé… mais elle est enceinte. Je suis le père, Mike… je suis désolé. »

Le verre de martini tremblait dans la main droite de Mike. Allait-il se briser au sol d'ici quelques secondes? Les quelques secondes passèrent, et Mike opta pour un moment de silence, bien trop choqué pour dire quoi que ce soit. De toute manière il n'avait absolument rien à dire. Plus rien à répondre. Plus rien à LUI dire. C'était clair, il ne pouvait vraiment plus avoir de lien affectif avec lui. C'était trop. Voilà ce qui se trottait dans l'esprit du Calahan tandis que son sourire était muni d'un sourire nerveux et que ses glandes lacrymales allaient bientôt travailler.

« c'est une blague Jared? »

Dis moi que c'est une blague s'il te plait. Allez dis le. Je t'en prie. Déconne pas putain Jones.
Les changements d'attitudes, Mike ne connait cela que trop bien. Voilà le parfait archétype. Toujours avec un sourire aux lèvres, qui devait sans nul doute effrayer Jared dans de telles circonstances, Mike attendait avec espoir une réponse positive à sa question. Et même si la blague avait été de très mauvais goût, c'était toujours mieux que rien.

Je désolé. Elle enceinte. Je père. Je désolé. Envoyer un télégramme, peut-être une méthode un peu has-been, aurait eu le même impact, la même utilité. Ces bouts de phrases repassaient en boucle dans sa tête. Il n'y croyait tout bonnement pas en fait.

Jared avait raison à moitié. Mike balança son verre de martini sur lui, je ne sais pas pour quelle raison, mais a priori cela avait permis au Calahan de se détendre ne serait-ce qu'un tout petit peu. Quant au verre de martini de Jared, il venait de finir éclaté au sol. Ça commençait à chauffer sérieusement. Au point où Mike finisse par gâcher deux verres de martini, oui je peux vous l'assurer. Mike se leva de table aussitôt puis commença à faire quelques pas pour partir puis tergiversa aussitôt, changeant d'avis sur le coup.

« Non, je vais pas partir, je vais pas te laisser t'en sortir aussi facilement pourriture. »

Mike s'avança dangereusement vers Jared et augmenta l'intensité de sa voix. Il jeta un vif coup d'œil à toutes ses employées, qu'il manqua de qualifier de 'pute' à voix haute, et les fusilla du regard. En fait qu'importe, que tout le monde écoute, il n'en avait strictement rien à cirer. C'était son problème, pas le sien. Qu'il se fasse une réputation de connard fini (si ce n'est pas déjà fait) dans son lieu de travail, qu'on soit tranquille.

« tu te fous de ma gueule quand même Jared? Je rêve où tu viens de me dire ça comme ça? Comme une bonne nouvelle à faire partager autour d'un verre et de retrouvailles? Je pense dire amen à tout ce que tu fais, mais que tu baises avec ma sœur, là non, désolé ça passe pas. Je sais même plus qui tu es pour pouvoir me faire ça, sincèrement. La foutre enceinte, mais tu te fous VRAIMENT de ma gueule. T'es pas foutu d'éprouver ne serait-ce qu'un peu de respect vis à vis de moi? »

Pause.

« t'es qu'un enfoiré. Voilà ce que t'es. J'aurai aimé penser que t'aurais été heureux de me revoir, qu'on aurait pu parler sérieusement de ce qu'il s'est passé. Que je puisse pouvoir te parler. Que je puisse pouvoir t'en parler. »

Voilà comment trop en dire. Si Jared n'est pas complètement idiot (on peut encore douter?) il serait très bien lire à travers ses paroles, et comprendre certains sentiments que Mike n'auraient jamais osé laisser transparaître, surtout pas face à lui. C'était écrit sur le front de Mike que cette soirée avait changé quelque chose pour lui, ou que cette soirée aimerait beaucoup que quelque chose change entre eux. Si Jared le connaissait suffisamment, il n'y a pas de doute la dessus, il venait clairement de lui dire 'coucou j'ai un problème je t'aime', entre autre, avec beaucoup plus de subtilité que prévu. D'un côté c'est pratique, au moins, qu'importe ce que Jared pourra interpréter, Mike pourra le nier. Mais à vrai dire, ce n'était pas le moment de nier quoique ce soit. Dans quelques secondes, si Jared ne réagissait pas, le Pink Paradize allait finir en cendres.

Jalousie envers sa sœur? Une envie de pleurer? Le frapper? L'oublier?

Envoyer un clone, si seulement le problème avait été là… Mais Jared n’avait eu qu’à poser ses yeux sur ce Mike, nu et se réveillant aussi maladivement que lui, pour que sa sensation de panique l’assaille partout. Même avec un clone, il aurait quand même continué à le regarder. L’homme n’avait pas eu peur de ce qu’il avait bien pu faire la soirée précédente, mais surtout des conséquences qu’il y avait eu sur lui. De ce qu’il avait ressenti, des émotions et des sensations qui lui revenaient en bribes d’une manière à la fois chaude et effrayante. De la manière dont il s’était senti, au réveil, presque serein et heureux avant de découvrir la situation dans laquelle il était. Il s’était fuit lui-même en abandonnant Mike, parce qu’il avait peur qu’autre chose que la gêne ne le prenne ce matin là, quelque chose dont il ne s’attendait pas et qu’il commençait à craindre… Ne plus voir Mike, si ça avait été bénéfique pour le Calahan, ce fut en revanche une véritable torture pour ce crétin de Jones. Déjà en recevant un appel de la petite sœur qui voulait lui annoncer qu’elle avait bien gardé précieusement le petit souvenir d’une soirée passée il y a trois mois environ. Il était là, en face de son ami, et tout ce qu’il trouvait à lui dire c’est qu’il avait réellement eu peur. Mike l’avait enfoncé mais Jared serra la mâchoire sans répondre. En fait, il préférait mettre de coté ce sujet pour un autre qu’il jugeait important, aussi. Disons qu’il sera pour lui plus facile de traiter l’autre, et peut-être était-ce une lâcheté de sa part que d’enchaîner sur un autre sujet, cependant il se rendit très vite compte à quel point c’était difficile de s’engager là-dessus. Jared regretta aussitôt ce choix. Mais c’était trop tard, il avait déjà commencé. Il avoua son gros méfait à Mike. Quoiqu’il n’avait pas fait d’erreur depuis que ce dernier était parti. Il s’agissait là d’une erreur – à laquelle il s’était fait pardonné déjà auprès de son ami – qui s’avérait avoir une plus grande conséquence que ce qu’ils auraient imaginé.

« c'est une blague Jared? »

Non Mike, peut-être n’avait-il pas l’humour aussi bas. Le moment de silence qui suivit, ce sourire… terrifiant. Jared avait l’impression que la température du bar venait d’augmenter de dix degrés. Il continuait de tourner très nerveusement son verre et il attendait le jugement, le courroux de son ami avec une peur terrifiante. Il se rendit très vite compte que de toute sa vie, il n’avait jamais été aussi angoissé… Pourquoi diable ce Calahan lui faisait autant d’effet ? Pourquoi Jared se sentait-il aussi stressé pour une affaire de ce genre ? Ca aurait été n’importe qui d’autre, il aurait lâché cette nouvelle avec quelques excuses, s’il voulait jouer son hypocrite, puis il serait parti. Mieux, il aurait probablement anéanti son interlocuteur pour éviter de s’embrouiller avec. Mais là, tout était différent. Avec Mike, Jared perdait toujours la face sans qu’il ne comprenne pourquoi ni comment. Avec Mike, c’est comme s’il sentait toute son humanité prendre le dessus sur le masque qu’il s’était forgé. Il avait l’impression d’être un livre ouvert pour le Calahan. Cette attente devenait insoutenable et il suffisait de regarder le visage de son ami pour comprendre qu’il avait été trop loin… beaucoup trop loin. Jared baissa les yeux sur son verre et déglutit silencieusement. Il reçut un liquide froid et terriblement piquant sur le visage. Jared ferma les yeux et les rouvrit au bruit d’un verre brisé. Il regarda les débris sur le sol, puis leva les yeux vers Mike sans oser bouger d’un cil. Il l’avait mis bien plus en colère qu’il ne l’avait imaginé. Mais il ne savait pas comment le lui dire autrement ! Le Calahan s’énervait peut-être un peu trop, et surtout beaucoup trop vite ! Mais Jared ne voulait pas que ça finisse comme cette autre soirée, où il avait appris le talent de télépathie de Jared. Le maléfique avait retenu la leçon et ce soir, il ne voulait pas que Mike soit encore plus en colère qu’il n’était déjà. Enfin… Si c’était possible. L’alcool brûlant légèrement son visage, il jeta un léger coup d’œil aux personnes autour qui tournaient la tête vers la nouvelle scène. Ho bon sang… Il devait faire son show, et voilà qu’il se donnait en spectacle d’une toute autre manière ! Jared ne savait pas si c’était l’alcool ou bien cette soudaine montée de température qui lui donnait extrêmement chaud. Il était terriblement embarrassé mais il n’aurait jamais osé demander à Mike de baisser le ton ! Il allait s’en aller. Jared posa les deux mains sur la table et commença à se relever, il n’allait pas le laisser partir ! Mais en voyant son ami faire demi-tour, il se rassit aussitôt et le regarda le sermonner. Pourriture, c’était la première fois qu’il l’insultait avec ce mot. Et ce n’était certainement pas dit sur le ton de la plaisanterie ou de l’ironie. En fait, cet adjectif désignait parfaitement Jared, et tout ce qu’il était. Mike en avait après lui, mais aussi après tous ceux qui travaillaient dans cette boîte. Le strip teaseur savait que le Calahan n’aimait pas son métier, et dire qu’il avait fait un effort gigantesque pour venir ici… Jared garda les yeux rivés sur Mike. Il n’en revenait pas à quel point son cœur le serrait rien qu’à l’idée de le savoir en colère après lui, et surtout de comprendre qu’il allait prendre cher.

« Je… » Je rien du tout, Mike n’avait pas fini de parler. Il lança un regard terriblement mal à l’aise vis-à-vis de tous ceux qui les observaient. Si à l’aéroport, il n’avait éprouvé aucune gêne, là c’était totalement différent. Son ami lui disait des choses bien plus douloureuses mais ce n’était pourtant pas une nouvelle ! Jared n’avait couché qu’une seule fois avec Marion, c’était il y a trois mois, et il en avait parlé avec Mike ! Et parlons-en du respect, car depuis que ce dernier lui avait ordonné de ne plus recommencer, jamais Jared n’eut de nouvelle aventure avec sa petite sœur ! Et il ne comptait pas en avoir une avec un seul membre de sa famille, d’ailleurs. Il y eut cette pause. Peut-être le strip teaseur aurait-il du dire quelque chose, mais rien ne sortit. Il préférait laisser un silence pesant le faire réfléchir et amèrement regretter ses erreurs. Mike reprit en l’insultant de nouveau, et il remit de nouveau cette fameuse soirée sur le tapis… Non ! Jared voulait l’oublier, et il avait presque réussi. Il fixa son ami, ne disant pas un mot et attendant patiemment qu’il ait terminé. Jared en avait assez ! Cette soirée n’arrêtait pas de l’obséder, il n’arrêtait pas d’y penser et maintenant qu’il avait retrouvé Mike, en parlait lui semblai… impossible ! Le sorcier ne savait pas pourquoi il avait réagit comme il l’avait fait, et il craignait toujours ces émotions qu’il avait ressenti, cette fameuse soirée. Mais là, il se tenait debout, face à Mike, le visage dégoulinant et collant à cause de l’alcool. Il observait ce dernier dans un profond silence et les seules pensées qui ne cessaient de passer en lui étaient en fait des prières pour que le Calahan ne parte pas. Pour qu’il lui pardonne. Est-ce que cette soirée avait été tellement importante aux yeux de Mike ? Alors pourquoi ce dernier semblait vouloir en parler ? Pourquoi Jared avait l’impression que Mike avait comprit certaines choses que Jared ne voulait pas comprendre. Le maléfique se leva enfin, le fixant toujours comme s’il s’attendait à de nouvelles paroles aussi dures et cinglantes. Mike semblait fulminer.

« C’est faux… » lâcha-t-il d’une voix à peine audible et en penchant la tête vers le sol bien qu’il continuait de regarder Mike, « Je te respecte… plus que personne… »

Jared se mordit la lèvre et regarda le sol. Non, Mike allait faire quelque chose, il ne devait pas partir ! Le strip teaseur devait réagir avant et il devait prouver à son ami à quel point il s’en voulait, à quel point il voulait que tout s’arrange, et à quel point il ne cessait lui aussi de penser à cette soirée. Il paniquait intérieurement, et il ouvrit la porte à sa petite voix, l’aidant toujours en dernier recours. Il tenta d’ignorer toutes les pensées qu’il entendait autour. Il se concentra sur Mike, uniquement sur le Calahan. Il se mit à réfléchir intensément sur : pourquoi il refusait de parler de cette soirée, qu’est-ce qu’il lui faisait peur. Il s’avança, subitement, se posta justement en face de Mike, puis il se pencha. Il l'observa ainsi, silencieusement et totalement cloué par la proximité. Ce qu'il craignait se réalisa, il se rendit compte qu'il avait envie de pencher davantage la tête... Une certaine attirance naissait mais il la refoula. L'homme se reprit, il ferma les yeux, secoua légèrement la tête puis se recula à nouveau. Il ne comprenait pas. C'était son frère, pourtant, et entre frères... Il leva la main et s'essuya enfin le visage un peu collant par l'alcool, chassant les gouttes qui essayent d'agresser ses yeux. En plus l'odeur lui montait au nez et lui donnait envie d'éternuer. Il devait dire quelque chose, il le savait, mais rien ne lui venait. D'autant plus que tout ce beau monde autour le gênait affreusement, même si les gens faisaient semblant de ne pas s'y intéresser.

"Je suis prêt à assumer." fit-il sur un ton certain en repensant à l'ultimatum de Marion. Enfin si Mike le rejetait alors non, il n'assumera rien du tout et préfèrera changer d'identité et fuir très loin pour l'oublier. Ou pour essayer. "Mais seulement si.." - il s'interrompit, ne trouvant pas les mots, et tourna la tête vers deux visages qui les observaient - "Vous avez rien d'autre à foutre ??" lança-t-il agressivement, comme pour se défouler ou bien se défiler...