Deux semaines... Voilà la période qui s'était écoulée depuis que Lloyd est réapparu dans ma vie, et je ne parvenais toujours pas à me faire à cette idée. Celle qu'il était de retour à San Francisco et que désormais j'avais le droit à des explications. Le fait est que son retour, puisqu'il faut l'appeler ainsi, ne s'était pas fait dans les meilleurs conditions me faisait douter que tout cela soit si réel en réalité. Une tasse à la main, j'étais devant la baie vitrée de mon salon occupée à penser à cette nuit où j'avais eu la peur de ma vie.

J'avais eu une bonne journée, bien que des pensées pour Lloyd étaient venues me perturber, et d'importants pourboires avaient égayer ma soirée au Pink Paradise. En rentrant la seule chose qui me permettait de tenir encore debout était la perspective d'une bonne douche et surtout un repas chaud, tout du moins les restes de la veille. Je m'étais couchée, trop fatiguée pour faire quoi que ce soit d'autre après avoir fait ces deux choses, les bras de Morphée m'avait vite emporté. Ce fut un bruit de verre brisé qui m'éveilla en sursaut, la peur au ventre. En y repensant j'avais réagi impulsivement, pourtant je ne m'enlevais pas l'idée que j'avais bien fait. Car la pauvre chose que j'étais n'avait rien trouvé de mieux pour se défendre que d'appeler à la rescousse la seule personne en qui elle avait confiance depuis trois mois : Jared. Peut-être que j'aurais du prendre le temps de savoir qui était dans mon appartement avant de l'appeler mais ma frayeur était telle que je n'avais pu faire autrement. Le reste de cette nuit n'avait été qu'une vaste catastrophe, Jared était venu et nous avions découvert ensemble que l'intrus était Lloyd. La situation m'avait alors échappé et la seule chose que j'avais désiré c'était que Lloyd s'en aille, je ne voulais pas entendre ce qu'il avait à me dire.

Aujourd'hui je me rappelais ce que j'avais vu sans vraiment en prendre conscience... Je me demandais comment et quand j'étais devenue insensible à la souffrance d'autrui. Lloyd avait tellement compté pour moi, il était devenu un phare dans ma morne existence, aussi j'avais eu du mal à accepter qu'il parte sans me donner de nouvelles ni même d'explication. Cependant je me rendais compte à présent de l'homme qui s'était tenu devant Jared et moi-même, un homme fatigué, abattu et désespéré. Et la seule chose que j'avais fait c'était de le rejeter pour lui faire aussi mal que lui m'avait blessé. *Décidément Anna tu fais tout de travers* J'aurais pu obtenir les réponses que j'attendais depuis trois mois, au lieu de ça je n'avais pas pu supporter sa présence dans mon appartement, comme si désormais il n'y avait plus sa place chez moi ou dans ma vie. Désormais j'ignorais si Lloyd et moi-même allions avoir un jour une discussion sur nous deux, je devais me l'avouer cela me troublait quelque peu. J'avais besoin de savoir ce qui s'était passé pour lui durant ces trois mois où j'avais désespérément attendu de ses nouvelles.

Un soupir s'échappa de mes lèvres, tandis que je me rendais compte que ni lui ni moi ne ferait le premier pas pour avoir cette discussion. Je portais ma tasse à mes lèvres malheureusement le liquide était à présent froid, en ramenant tout à la cuisine pour le faire réchauffer le téléphone se mit à sonner. Je posais la tasse sur l'ilot centrale et décrochait.

- Allo
- Anna, c'est maman, je viens aux nouvelles. Et ne me dis pas que tout va bien.

Ma mère n'était pas un devin loin de là, elle était juste ma mère et aussi ma patronne lorsque je bossais dans notre restaurant familiale, Maria Larson était de ces personnes qui voyait parfaitement quand quelque chose n'allait pas. Alors bien sûr il fallait qu'elle m'appelle durant mon jour de congé pour savoir ce qu'il se passait depuis deux semaines. Ai-je oublié de préciser que j'avais de nouveau trainé comme une âme en peine depuis le retour de Lloyd. Apparemment.

- Maman c'est gentil de m'appeler mais je n'ai rien à dire sur ça. Autre chose ?
- Anna tu sais que tu peux me par...
- Maman, cela me regarde alors s'il te plait arrête.
- Bon. Pourras-tu, alors, me ramener le livre de ton père s'il te plait ?
- Un instant je vais voir où je l'ai rangé.

J'avais emprunté ce livre il y a quelques temps déjà, mon père y avait écrit des partitions de musiques ainsi que des recettes de cuisine, le tout mélangés, ce qui nous faisait bien rire maman et moi mais nous ne pouvions nous résoudre à le recopier pour nous mêmes, aussi nous partagions ce cahier toutes les deux. Comme toutes les affaires de mon père que je gardais à la maison, j'avais surement dû le mettre dans le bureau qui me servait de salle de musique. J'ouvris la porte et pénétrait à l'intérieur quand mon pied buta dans quelque chose qui roula jusqu'à la basse paternelle, non loin de l'entrée. Je ne pouvais pas rater cette petite boite, je m'accroupissais devant tout en écoutant ma mère me dire combien elle avait envie d'une des recettes inscrites dans le vieux cahier. Pour ma part j'essayais de savoir quand j'avais pu acheter un truc si petit qu'il puisse tenir dans une telle boite. Au toucher celle-ci était d'une douceur sans nom, je la pris et l'ouvrit rapidement, ce que je vis à l'intérieur me coupa le souffle. Dans un écrin de velours se tenait la plus jolie bague que je n'avais jamais vu, seulement je ne me demandais comment elle avait pu atterrir ici. Et là ce fut comme si j'avais une révélation... Cette bague appartenait à Lloyd, du moins je le pensais car cela faisait plus de deux semaines que je n'avais pas joué de la guitare, je m'entrainais au piano dans le salon en vue du concert au P3, j'avais fermé cette porte le lendemain de "l'apparition" de Lloyd dans mon salon.

- Anna tu m'écoutes.
- Maman je dois te laisser, je te ramène le livre de papa demain. Promis, bye.

Bon d'accord je n'étais pas très sympa avec ma mère sur ce coup là mais j'avais besoin de comprendre ce que cette bague faisait chez moi. Parce qu'à présent de nouvelles questions fusaient sous mon crane, cherchant à tout prix à savoir si cette bague appartenait bel et bien à Lloyd ou si c'était mon imagination. Je du bien évidemment me rendre à l'évidence, la seule personne qui était entré dans mon appartement et qui pouvait posséder un tel bijou n'était autre que Lloyd. Amy me l'aurait tout de suite montrée et je voyais mal Jared acheté ce genre de bijou. La pierre était parfaite, ni trop grosse ni trop petite, juste ce qu'il fallait pour qu'elle soit discrète et pourtant visible. Le boitier toujours à la main je retournais dans la pièce principale, me demandant ce que je devais faire, j'avisais mes clés de voiture dans le vide poche de l'entrée et me décidait. Je devais en avoir le cœur net.

Il était 11h, j'ignorais s'il travaillait aujourd'hui mais je me trouvais devant son appartement, hésitant à frapper à sa porte, pétrifiée par les révélations que je pourrais avoir. Je fermais les yeux intensément, cherchant à calmer la boule de stress qui commençait à se former dans mon estomac, les ouvrit et toqua trois fois. Un sourire fugace apparu sur mes lèvres, c'était toujours ainsi que je m'annonçais quand je venais chez lui. J'attendis ce qui me parut une éternité avant que la porte ne s'ouvre et avant qu'il n'ait eu le temps de dire quoi que ce soit, je dis :

Il faut qu'on parle.

En d'autres temps, à un autre moment la simple vision de Lloyd dans une tenue aussi affriolante m'aurait mise dans tous mes états, j'en aurais eu le cœur qui se serre, des suées froides dans le dos. Aujourd'hui les choses étaient différentes, bien que je ressente toujours une forte attirance pour lui en le voyant simplement vêtu d'une serviette de bain, j'avais changé et je savais désormais contrôler mes poussées hormonales. J'entrais dans son appartement qui fut le berceau de notre amour pendant 4 mois, en retenant l'émotion qui m'envahissait. Finalement ça allait être plus difficile de me contrôler si tous les souvenirs que ces pièces et meubles m'évoquent viennent m'assaillir d'un seul coup, heureusement pour moi Lloyd s'absenta pour s'habiller correctement. Cela me permettait de me reprendre tout en observant le salon, qui n'avait pas bougé d'un millimètre comme si les trois mois d'absence de son propriétaire n'avait pas existé, comme si tout avait été laissé là sans que rien ne viennent perturber les choses. J'aurais pu aisément ouvrir le tiroir du meuble tv et y trouver la télécommande de la télévision, là où Lloyd la rangeait habituellement. J'avais l'impression d'avoir vécu un rêve, je mis ma main droite dans la poche de ma veste touchant le boitier de velours tandis que la gauche venait caresser le médaillon magique que je portais en permanence depuis deux mois. Triste réalité qui me revenait en pleine figure, les semaines s'étaient belles et bien écoulées.

Je sentis, plus que je le vis, Lloyd revenir au salon. Je lui tournais le dos, les yeux tournés vers la fenêtre... Et maintenant qu'étais-je supposé dire? J'étais venue avec de nombreuses questions en tête mais j'ignorais par laquelle commencer. Il y en avait trop. *Pourquoi es-tu parti ? Où étais-tu ? Pourquoi ne m'avoir jamais rien dit ? As-tu seulement eu confiance en moi un jour ? C'est quoi cette bague ?* Je me retournais alors qu'il prenait la parole, je sentais sa colère et aussi sa tristesse... Seulement ce fut plus fort que moi.

Et ton silence de ces trois derniers mois devaient obligatoirement me faire accourir vers toi tout simplement parce que tu es revenu à San Francisco !

J'étais surement injuste mais la colère, qu'avait provoqué cette question, m'avais empli entièrement comme si elle ne m'avait jamais quitté, et était restée tapie dans un coin de mon être attendant le moment propice pour refaire son apparition. Je m'étais pourtant juré de venir ici discuter calmement, manifestement c'était peine perdue. J'étais toujours amoureuse de lui, c'était une évidence que j'avais tenté d'étouffer, de camoufler pour que la peine que je ressentais ne me fasse plus d'effet. J'avais mis tant d'ardeur à effacer la douleur de son départ que je n'avais entre-aperçu le gouffre dans lequel je me précipitais : celui du manque encore plus flagrant de son absence. Bien sûr Lloyd m'avait manqué mais je ne ressentais aujourd'hui à quel point ce manque était important, il était inscrit en moi, dans mon sang, dans mes os... Oui je l'aimais toujours mais j'ignorais si comme le feu d'une cheminée, cet amour pouvait être attisé.

Ce que je fais avec Jared ne te regarde nullement puisque tu es parti sans une explication... Par égard pour la relation que nous avions à l'époque, sache que Jared est devenu un ami précieux.

Je ne savais pas pourquoi je tenais tellement à préciser ce fait, peut-être parce que je gardais un espoir infime d'avoir enfin une explication valable. Je lâcha un soupir, ce n'était pas ainsi que j'avais espéré que les choses se dérouleraient. Je n'étais pas naïve au point de croire que tout se réglerait en quelques secondes, je comprenais que j'allais devoir prendre l'initiative de cette conversation si je voulais parvenir à mes fins. Cette réflexion fut rapide et, après m'être assise dans le fauteuil, ce qui ne laissa que deux possibilités à lloyd : l'autre fauteuil en face de moi ou le canapé à ma gauche, je pris une inspiration, m'exhortant au calme et posais la première de toutes mes questions. Celle qui avait tout changé entre nous.

Qu'est-ce que tu es?

Il ignorait que j'avais été un peu initié à la magie, le strict minimum à vrai dire et honnêtement je ne comptais pas lui dire maintenant. Néanmoins à la différence de la découverte d'il y a trois mois, aujourd'hui j'étais prête à tout entendre, peut-être pas à comprendre tout mais au moins Lloyd aurait la chance de me parler ouvertement.